De nombreux candidats et collaborateurs sont aujourd’hui au cœur de ce qu’il est commun d’appeler la « guerre des talents ». Il s’agit d’une compétition entre les entreprises pour attirer puis conserver des personnes jugées plus douées et plus efficaces que la moyenne ! Pourtant, le terme de talent est-il vraiment adapté à l’heure de qualifier ces oiseaux rares censés augmenter la qualité au sein des effectifs et développer la performance des organisations ? A plusieurs égards, il est nécessaire de critiquer cette notion. Philosophe praticien chez Dialogon, Jérome Lecoq nous aide à mieux comprendre les implications de ce terme et les risques associés à son usage dans l’entreprise.

Quand on entend un mot décrivant aussi bien le joueur de foot à l’aise dans ses dribbles, l’ingénieur ultra-spécialisé en biotechnologie et le vendeur de téléphones portables, c’est certainement le moment d’interroger sa pertinence. En effet, qu’est-ce qu’un talent ? D’après Marie-Pierre Fleury, fondatrice de Canden, cabinet de conseil en ressources humaines, ce terme est apparu dans l’entreprise dans les années 90′. Il désigne les ressources humaines capables de faire face à l’incertitude et à la prise de risques, tout en produisant de l’innovation, de l’agilité stratégique et opérationnelle. En cela, elles contribuent à la réussite économique de leur organisation. Une telle définition positionne clairement le talent du côté des élites, soit un cerveau supérieur à la moyenne, doté de compétences managériales et/ou techniques caractérisées par leur excellence.

Une notion floue et ambiguë

Couramment, le terme de talent désigne une prédisposition innée à effectuer une tâche. Une personne capable de reconnaître un visage aperçu il y a 10 ans dispose d’une forme de talent. « Le talent peut se rapprocher de la manie sauf qu’il a une valeur positive ! » remarque Jérôme Lecoq. Si ce terme poursuit une bonne intention, il reste relativement ambigu. « Par exemple, Hitler avait un talent pour captiver l’attention des foules, le meurtrier a un talent pour traquer ses victimes. Cela implique que soit cette disposition ne nous demande aucun effort soit même qu’elle nous procure du plaisir » ajoute-t-il. Dans l’entreprise, pourtant, « faire face à l’incertitude » ou « produire de l’innovation » demande généralement beaucoup d’efforts et ne suscite pas forcément du plaisir.

Les risques associés à la notion de talent

Jérôme Lecoq signale deux risques majeurs dans l’utilisation du terme de talent dans un contexte d’entreprise :

  • Une notion qui ne sert pas le collectif

En effet, quel est le statut de ceux qui ne font pas partie des talents ? Sont-ils condamnés à rester des non-talents ? Si c’est une catégorie dans laquelle on peut rentrer et sortir, de quels critères dépend-elle ? De la performance ? Des compétences ? De son aptitude au leadership ? La valorisation de salariés talentueux contre ceux qui ne sont pas jugés comme tels attise l’esprit de compétition et peut aller au détriment de l’esprit d’équipe nécessaire pour impliquer un collectif. Enfin, une personne peut être très talentueuse mais incapable de travailler en équipe. Parce qu’il est trop souvent attaché à l’individu, le terme de talent ne comprend pas cette dimension collective aujourd’hui très recherchée dans l’entreprise, notamment au regard de ses enjeux de diversité (c’est par l’hétérogénéité des profils et des points de vue qu’on est en mesure de trouver des solutions innovantes).

  • Une confusion entre talent et performance

On banalise la spécificité d’un talent en la diluant dans la performance, les compétences et le leadership. A partir du moment où un salarié obtient des résultats, il est considéré comme talentueux. Mais si son niveau de performance baisse, doit-il être exclu de la catégorie des talents ? C’est là tout le problème de cette notion. En fait, l’entreprise valorise chez le collaborateur sa capacité à être performant. Est-ce grâce à sa méthode pour aborder les clients, sa gestion des priorités, la maitrise technique de son métier ? Quel est ce « petit truc en plus » qu’il a développé ? Ce « petit truc » peut-il être transmis à d’autres pour se généraliser afin de s’ancrer dans des comportements de performance ? On n’est plus dans le talent mais bien dans la capacité affichée par certains salariés à s’adapter à des situations pour augmenter leur niveau de performance ! Il ne faut pas considérer cela comme inné. Il convient plutôt d’étudier cette valeur ajoutée pour la formaliser et la propager en interne. En un sens, il s’agit de désacraliser ce soi-disant talent pour passer du côté des bonnes pratiques internes. Si tant est qu’un comportement ou une attitude puisse-être transmis… Mais ça vaut le coup d’essayer !

Peut-on envisager d’autres termes ?

La notion de « personne talentueuse » est moins réductrice que la notion très marketée de talent. Surtout, elle a l’avantage de suggérer une capacité à faire grandir ses compétences au service d’un objectif commun. Son principal échec est de ne pas être très sexy dans le cadre d’une Com employeur. La notion de « potentiel » est très intéressante. Elle est tournée vers le futur ! Un potentiel dispose de certaines qualités et peut se façonner dans l’organisation, pour apporter ses compétences individuelles au sein d’un collectif. Le problème est de qualifier ce potentiel une fois qu’il a fait ses preuves. Ce terme s’adapte donc plus volontiers aux jeunes candidats et collaborateurs. De plus, la notion de « potentiel » n’est pas forcément très ambitieuse. On a tous du potentiel jusqu’à preuve du contraire…

Pour conclure !

UTILISEZ LE TERME DE TALENT AVEC MODERATION ET SANS JAMAIS PERDRE DE VUE LA NOTION DE COLLECTIF ET DE DIVERSITE ! VU QU’IL N’EXISTE PAS ENCORE DE TERME EQUIVALENT, QUI AIT A LA FOIS CETTE DIMENSION POSITIVE ET AMBITIEUSE, NOUS PRECONISONS DE NE PAS L’INTERDIRE !

Auteur

@jeremyduris

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Thibaud Michel

Co-fondateur de l’agence Twinin chez Twinin
Joueur invétéré de concepts pub. Tombé dans le RH par hasard mais aujourd’hui parfaitement accro… Applaudissez ou fusillez mes articles je me ferai un plaisir de vous répondre !