Et si ce qui manquait aux entreprises françaises était une véritable stratégie de l’envie ? Une stratégie qui donne aux managers et aux salariés l’envie de progresser, l’envie de réussir, l’envie d’y arriver en équipe, l’envie de partager des émotions… Vice-président chez Havas et auteur du livre « L’envie, une stratégie », Olivier Bas explore le potentiel de l’enthousiasme pour redonner du sens au travail et au business.

Votre regard sur le monde du travail en France est sans appel : il abîme les gens. Est-ce ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Evidemment. Le travail abîme les gens mais les causes de cette désillusion ne se trouvent pas uniquement entre les murs de l’entreprise. L’Education Nationale est une machine à produire du défaitisme et forme des élèves qui ne croient pas assez en eux-mêmes. Puis, les médias braquent continuellement leurs projecteurs sur la noirceur du monde tandis que les politiques sont incapables de proposer des paroles sincères pour raviver un sentiment d’unité. Parce qu’un salarié est aussi un citoyen, ce n’est pas un hasard que le monde du travail soit un espace où les gens vont rencontrer des difficultés.

Enfin, les entreprises font travailler les gens de manière rationnelle au sein d’organisations régies par des processus. Le problème, c’est qu’il existe toute une dimension émotionnelle qui n’est jamais traitée. Quand les managers cherchent à motiver leurs collaborateurs, l’approche est exclusivement individuelle et le collectif est trop souvent négligé. Il faut réinjecter de l’émotion pour retrouver du plaisir à travailler et à travailler ensemble.

En quoi l’envie peut inverser la tendance ?

L’envie est un désir qui inspire la volonté d’agir et alimente le besoin de s’engager. Le facteur le plus déterminant pour la réussite d’une entreprise, ce sont les hommes et les femmes qui la composent. Et ce ne sont pas seulement leurs compétences ou leurs talents mais bien la manière dont ils les engagent au service de leur employeur. Je pense que les émotions sont l’oxygène de l’envie et elles doivent se retrouver au cœur des modèles de management : se sentir fier quand on réussit quelque chose, partager avec l’autre quand ça va bien et quand ça va mal, avoir le sentiment d’être utile…

Les entreprises peuvent-elles embrasser votre approche ?

On distingue deux types d’entreprise : celle dont l’obsession est de générer du profit avec un rapport au temps extrêmement court et qui ne se demande jamais si sa production est utile ou non. Puis, il y a celle qui considère qu’elle est plus qu’un simple opérateur économique et que sa finalité est le progrès. A mon sens, une entreprise ne porte pas un projet, elle EST un projet. Quand elle se trouve dans cette dynamique, elle peut commencer à mettre en place une stratégie de l’envie, qui va être nourrie par 3 forces majeures : le désir de réussite et d’utilité, les émotions positives, et le collectif.

Comment activer cette stratégie ?

A mon sens, les entreprises disposent de quatre leviers : le projet d’entreprise, la vision du patron et sa parole, la culture managériale et la communication interne.

Selon vous, qu’est-ce qu’un projet d’entreprise ?

Je le répète, l’entreprise n’a pas un projet ou une culture, l’entreprise EST un projet. Je me tourne ici vers Franck Riboud affirmant que la mission de Danone est d’apporter la santé au plus grand nombre par l’alimentation. En posant ce principe, il n’hésite pas à vendre des actifs rentables comme l’entreprise Kronenbourg qui ne remplit pas cette mission. Quand il parle de Danone, il parle de rêve, il parle du rôle que joue son groupe dans l’alimentation, il imagine l’entreprise dans 20 ou 30 ans. C’est beaucoup plus engageant pour les équipes qu’un discours sur la rentabilité ou les exigences financières des actionnaires.

Dans votre livre, vous semblez accorder une place très importante aux discours des patrons. Un « mauvais » discours peut-il plomber une boite ?

Prenons l’exemple de Renault où les discours de Carlos Goshn utilisent très souvent le registre de la peur : « Renault n’est pas en crise mais reste fragile. Cette fragilité peut conduire à une situation dangereuse et donc inacceptable. » Puis, son ambition pour Renault est de l’ordre du devoir absolu. Il réclame de ses salariés une « implication totale » avec un recours à des expressions telles que « il faut », « nous devons ». Et c’est la peur au ventre que les salariés retournent au boulot.

Pour Robert Zuili, psychologue, un discours capable de mobiliser un individu doit faire appel à 3 niveaux de régulation émotionnelle : le réel (se réfère à des certitudes et s’inscrit dans une logique rationnelle), l’imaginaire (se réfère à un idéal de développement potentiellement réalisable et se nourrit d’une vision), et le symbolique (se fonde sur le sentiment, donne du sens et forge des références communes et cohérentes).

Après le patron, le manager. La culture managériale est aussi dans votre ligne de mire ?

Je pense à la société InVivo, leader français des coopératives agricoles. Il y a quelques années, la direction a dû faire face à la cohabitation difficile entre deux générations de managers. D’un côté, des « anciens » baignant dans la culture paternaliste de l’entreprise, et, de l’autre, des « nouveaux » issus d’entreprises managées par la performance à court terme. Pour faire la synthèse entre ces deux cultures et bâtir un nouveau style de management, la direction a décidé d’organiser un séminaire lors duquel aucune échéance à court terme ne fut décidée. L’entreprise a simplement laissé à chacun du temps pour trouver des solutions ensemble. Cette méthode est particulièrement innovante.

En matière de culture managériale, les entreprises doivent aller vers ce qu’on appelle la symétrie des attentions. On parle beaucoup d’expérience client mais il faut aussi aller vers l’expérience salarié. Orange vient de lancer un projet stratégique « Orange Essentiel 2020 » pour améliorer l’expérience client. Mais son DRH, Bruno Mettling, a réalisé qu’il n’était pas possible de demander aux salariés de faire vivre une expérience client fantastique si on n’améliorait pas en même temps l’expérience salarié, à la fois d’un point de vue de gestion des ressources humaines et dans tous les moments de la vie quotidienne. L’idée, c’est de pouvoir enclencher une spirale vertueuse : des dirigeants qui proposent une vision progressiste générant de la confiance chez les managers et libérant l’énergie des salariés…

In fine, cette stratégie doit avoir un impact positif pour les collaborateurs ?

Les salariés ont besoin de sens et ils ont besoin d’être reconnus. Contrairement à certaines croyances, le salaire n’est pas un véritable critère de satisfaction puisqu’il dépend beaucoup trop d’une perception ou d’une comparaison. En revanche, l’intérêt de son métier, la reconnaissance de ses pairs ou de ses managers, se voir confier des responsabilités, avoir des tâches diversifiées, la qualité des liens dans une équipe, tout cela crée du plaisir et de la satisfaction.

La communication interne ne fait pas forcément son boulot. Comment l’orienter ?

Je pense qu’elle est mal construite et mal adaptée aux enjeux actuels des entreprises. A mon avis, il faut arrêter de parler d’une communication interne puisque les frontières n’existent plus et ce qui se dit dans l’entreprise a de grandes chances de se retrouver à l’extérieur. Surtout, la communication vers les salariés doit arrêter de suivre une logique top-down. A mon sens, elle doit devenir autogérée, en rendant les salariés producteurs de contenus. A terme, cela profite à l’entreprise qui obtient enfin un discours sincère et dans lequel se reconnaissent tous les salariés. Mais, pour cela, il faut faire confiance…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

The following two tabs change content below.

Thibaud Michel

Co-fondateur de l’agence Twinin chez Twinin
Joueur invétéré de concepts pub. Tombé dans le RH par hasard mais aujourd’hui parfaitement accro… Applaudissez ou fusillez mes articles je me ferai un plaisir de vous répondre !